Fabuloscope

Actéon

Parmi les divinités de l'Olympe, il en est une qui se tient en retrait. C'est Diane. Les intrigues amoureuses des dieux et des déesses ne l'intéressent pas. C'est pourtant une fille de Zeus, la soeur jumelle du bel Apollon, le dieu du soleil. Diane n'aime que l'ombre des forêts. Jamais elle ne se mêle aux autres dieux. Jamais, non plus, elle ne se mêle des affaires des hommes. Elle ne les approche pas. Elle ne veut surtout pas être approchée d'eux. Elle a fait voeu de ne jamais se marier.
Elle ne porte pas de longue robe drapée, juste une tunique courte qui découvre ses jambes agiles. Pas de coiffure compliquée. Ses cheveux volent au vent. Ses pieds sont chaussés de sandales. Elle est entourée de nymphes des bois, des jeunes filles à son service.
Sa passion, c'est la chasse. Elle porte toujours à l'épaule son arc et son carquois. Elle poursuit le gibier sauvage. Cela la rend parfois cruelle. Elle est si habile à la chasse qu'aucun chasseur ne peut la surpasser.
Lorsqu'elle est fatiguée, elle se délasse près d'une source, en particulier près d'une source sacrée, dont les humains n'ont pas droit de s'approcher.

Or un jeune prince, Actéon, était à la chasse avec ses compagnons, précédés par une meute de chiens.
Actéon était un excellent chasseur. Il connaissait tous les secrets des montagnes et des forêts, car son père avait confié son éducation au centaure Chiron, cette créature des bois au corps de cheval et au torse et à la tête d'homme.

Le soleil était au milieu de sa course et Actéon avait décidé de s'arrêter pour se reposer. Ses compagnons et lui avaient pris assez de gibier depuis le matin. Maintenant la chaleur est accablante. Ils attendront que le soleil ait un peu baissé pour rentrer.
Actéon s'éloigne de ses compagnons. Il erre dans la forêt au hasard. Le hasard le conduit dans un endroit où il n'est jamais venu. C'est une vallée aux arbustes serrés, un endroit frais et ombragé.

Tout à coup il entend des voix de femmes et des rires. Curieux, il s'approche sans bruit, en évitant de faire craquer les branches. Et là, à l'entée d'une grotte, il aperçoit un groupe de jeunes filles. Une source jaillit depuis la grotte et s'élargit en un bassin bordé d'herbe verte. A travers les branchages, il voit l'eau miroiter.
Diane, entourée de ses nymphes, s'apprête à s'y baigner. Elle remet son arc et son carquois à une des nymphes. Deux autres nymphes lui délacent ses sandales. Une autre encore lui relève les cheveux en un chignon. Enfin elle enlève sa tunique et la donne à une autre servante. Puis elle avance dans l'eau fraîche. Des servantes versent de l'eau sur ses épaules. Actéon ne la quitte pas des yeux, il est fasciné par sa beauté.

Diane a senti le regard d'un homme se poser sur sa nudité. Soudain, levant la tête, elle aperçoit Actéon. En même temps toutes les nymphes, nues elles aussi, se mettent à pousser des cris perçants. Elles essaient de cacher de leur corps le corps de la déesse.
Diane a rougi. De honte et surtout de colère. Aucun mortel n'a le droit de contempler une déesse. Son arc et ses flèches ne sont pas à sa portée. Elle puise de l'eau dans ses mains et en arrose le jeune homme tout en lui disant :
" Va donc te vanter, si tu peux, d'avoir vu la déesse nue!"

Mais aussitôt, Actéon sent son cou s'allonger, ses oreilles devenir pointues, sa tête se couvrir de la ramure d'un cerf. Ses mains se changent en pieds, ses bras deviennent de longues jambes qui prennent appui sur la terre, et tout son corps se revêt d'un pelage roux. Lui qui était si vaillant, devient craintif. Cependant il réfléchit encore comme un humain : doit-il rentrer au palais de son père ou se cacher dans la forêt?
Tandis qu'il hésite, un de ses chiens flaire sa présence. Il se met à aboyer et se lance à la poursuite du cerf. Toute la meute le suit avec des hurlements furieux. Diane les excite tant qu'elle peut.
Actéon se lance dans une course éperdue. Il fait des bonds prodigieux. Son agilité l'étonne lui-même.
Pourtant ses chiens le rattrapent peu à peu. Il voudrait leur dire :
"Arrêtez! Je suis Actéon votre maître."
Mais aucune parole ne sort de son mufle, seulement une longue plainte.
Hors d'haleine, il ralentit sa course. Son chien le plus fidèle, le plus aimé, le rattrape et lui plante ses crocs dans la patte. Actéon s'immobilise. Les autres chiens l'attaquent aussitôt. Actéon se couche sur le flan. Il est sans défense sous la morsure de tous ses chiens. Il expire à force de blessures.
La colère de Diane est enfin apaisée.

Les compagnons d'Actéon l'ont attendu en vain. Ils ont rassemblé les chiens et sont rentrés, ignorant ce qui était arrivé au jeune héros.
L'âme d'Actéon, mort sans sépulture, errait sans repos. Elle apparaissait toutes les nuits à son grand-père, Cadmos, sous forme d'un cerf. Lorsque Cadmos a compris que son petit-fils demandait une sépulture, il a fait dresser une pierre à l'effigie du jeune homme en guise de tombe.
Et plus jamais l'âme d'Actéon n'a troublé le monde des vivants.