Fabuloscope

L'Odyssée 5e épisode

Vers le soir, le navire approche d'un rivage. Ulysse et ses compagnons entendent des mugissements. C'est l'île du Soleil.
Se souvenant de la prédiction de Tirésias, Ulysse tente d'empêcher ses compagnons d'aborder cette île.
-- Ecoutez-moi! Tirésias m'a averti du terrible danger qui nous guette si nous accostons ici. Ne nous arrêtons pas là!
-- Ulysse, c'est facile pour toi de nous donner des ordres, ce n'est pas fatigant! Nous, nous n'en pouvons plus de ramer. Il va bientôt faire nuit. Il vaut mieux aborder, passer une bonne nuit et repartir demain, frais et dispos.
Ulysse doit céder. Mais il demande à ses hommes avant d'aborder, de s'engager un par un, par un serment solennel, à ne toucher à aucun animal des troupeaux sacrés du Soleil. Circé leur a donné assez de provisions. Les marins jurent.
Ils accostent, préparent le repas et s'endorment, le coeur lourd de la perte des six compagnons dévorés par Scylla.

Pendant la nuit, le vent se lève et au matin la tempête menace. Impossible de partir sans être rejetés sur les rochers. Ulysse, bien à contre coeur, ordonne de tirer le navire sur la plage. Il renouvelle sa mise en garde.
Tout un mois, le même vent souffle. Pas un répit pour quitter l'île dangereuse. Les provisions commencent à manquer. Au début, les marins essaient de les remplacer en pêchant, en ramassant des coquillages. Mais ils ont encore faim, tandis que des grands boeufs blancs viennent souvent tourner autour d'eux.
De plus en plus inquiet, Ulysse décide d'explorer l'intérieur de l'île à la recherche d'une solution. Il marche longtemps sans rien trouver. Soudain fatigué, il s'allonge dans une grotte, à l'abri du vent et s'endort d'un sommeil étrange, envoyé par les dieux.

Pendant ce temps, Euryloque s'adresse aux marins :
-- Camarades, écoutez-moi! Toute mort est terrible, bien sûr,mais périr de faim alors que nous avons là de quoi faire un festin, quoi de plus horrible? Si, par la suite, le Soleil décide de nous punir en faisant sombrer le navire, la noyade sera moins pénible qu'une longue agonie de famine. N'êtes-vous pas d'accord?
Tous applaudissent. Ils profitent donc de l'absence d'Ulysse pour tuer quelques belles génisses et se faire rôtir des quartiers de viande.
Ulysse se réveille. De loin il sent une odeur qu'il ne reconnaît que trop bien. Ses marins ont commis le sacrilège!
Le Soleil aperçoit la fumée des feux allumés sur son île. Il va se plaindre à Zeus :
-- Si tu ne punis pas les compagnons d'Ulysse, je quitte le monde des vivants et je m'en irai briller dans le monde souterrain, chez les Morts.
-- Ne t'en fais pas, ils seront punis! lui répond Zeus qui craint une catastrophe si le Soleil disparaît.

Ulysse arrive trop tard. Il n'y a pas moyen de rattraper le sacrilège. Les dieux leur envoient un présage sinistre : les quartiers de viande en train de rôtir se mettent à beugler lamentablement comme si ces animaux étaient encore vivants.

Sept jours plus tard, le vent tourne. On remet le bateau à la mer. Lorsque le bateau est en pleine mer, Zeus envoie un nuage noir qui recouvre tout le ciel. Le vent souffle en rafales, tous les vents se déchaînent en même temps. Ils arrachent les voiles, une à une. Le mât est brisé. Il s'abat sur le pilote du navire et, lui ouvrant le crâne, il le tue sur le coup. Puis la foudre de Zeus s'abat sur le navire par trois fois.
Fous de terreur, les marins sautent dans les flots et sont engloutis par les énormes vagues. La coque du bateau se fend. Les morceaux de bois sont éparpillés, emportés par les tourbillons.

Ulysse s'agrippe à un morceau de mât et surnage ainsi jusqu'à ce que la tempête se calme. Le ciel redevient clair. Un vent d'est entraîne le naufragé sur le chemin parcouru les jours précédents. Il revoit les côtes de l'île du Soleil, puis se trouve de nouveau dans le détroit de Charybde.
C'est précisément le moment où le monstre engloutit tout ce qui passe à sa portée. Le mât sur lequel se trouve Ulysse est aspiré irrésistiblement. Ulysse s'accroche à un figuier qui a poussé dans une fente du rocher à l'entrée de la caverne. Il reste agrippé là pendant de longues heures jusqu'au moment où Charybde rejette l'eau absorbée et, avec elle, le morceau de mât. Ulysse le saisit au passage et se laisse à nouveau entraîner par le courant. Il est si minuscule au milieu des flots que l'autre monstre, Scylla, ne le voit pas lorsqu'il passe à nouveau le long de son rocher.

Ulysse est poussé vers l'ouest pendant neuf jours . Au dixième, il parvient aux extrémités du monde, sur les bords de l'île d'Ogygie, là où demeure la nymphe Calypso. Les vagues l'entraînent sur une plage de sable fin. Epuisé, le corps brisé, Ulysse s'endort lourdement.

Quand il s'éveille, au lieu du sable de la plage, il est étendu sur des tapis épais, un coussin sous la tête, une couverture moelleuse sur lui. Il ouvre les yeux sans comprendre où il se trouve, puis se rendort dans un demi sommeil. Quand il reprend conscience tout à fait, il se demande où il peut bien être.
A ce moment apparaît une femme très grande, entièrement vêtue de blanc, d'une beauté merveilleuse, trop belle pour être une simple mortelle. Le voyant réveillé, elle lui sourit, lui prend les mains et lui dit :
-- Ulysse, tu es chez toi. Je m'appelle Calypso. Je suis de race immortelle, mais je ne me mêle pas aux dieux de l'Olympe. Je sais qui tu es...Désormais tu resteras auprès de moi... Je t'offre de devenir immortel comme les dieux.
-- Je te remercie, déesse, d'avoir pris soin de moi. Je ne souhaite pas devenir immortel. Mon souhait le plus cher est de revoir ma patrie, ma femme et mon fils.
-- Pour l'instant, ne pensons pas à tout cela.
Calypso ordonne à ses servantes de préparer un bain pour Ulysse et de lui apporter des mets succulents.

Puis une vie de loisirs commence pour Ulysse. Chaque jour, il va à la chasse dans la forêt enchantée. Le gibier est abondant et varié, des animaux qu'il n'a vus nulle part auparavant. Ou bien, il part à cheval avec Calypso. Ils traversent des prairies immenses où paissent des troupeaux de gazelles.
Chaque jour, Ulysse goûte à des mets raffinés servis dans une vaisselle d'or. Pendant le repas, Calypso fait venir des musiciens, des chanteurs, des danseurs, des acrobates, des charmeurs de serpents. Parfois elle lui raconte des légendes du temps passé, l'histoire des dieux et des héros.
Mais après les premiers temps, Ulysse s'ennuie. Il désire revoir Ithaque, Pénélope et le jeune Télémaque. Il se lasse du luxe. L'immortalité que lui offre Calypso ne le tente pas. Il reste assis des heures au bord de l'océan à rêver, parfois à pleurer.
Voici trois ans qu'Ulysse est prisonnier de Calypso. Il n'a pas de bateau, pas de compagnon avec qui naviguer.

Enfin, Athéna intervient pour lui auprès de Zeus. Zeus envoie Hermès, son messager. Hermès noue ses sandales ailées, saisit sa baguette et s'élance dans l'azur, puis il court sur la crête des vagues jusqu'à l'île du bout du monde. Là, il trouve Calypso en sa caverne aux quatre sources. Ulysse n'est pas auprès d'elle. Il est assis en haut du promontoire et les yeux pleins de larmes, il contemple la mer.
Calypso fait asseoir Hermès, lui offre la nourriture et la boisson divines et lui demande :
-- Pourquoi viens-tu jusqu'ici, si loin du séjour des dieux?
-- C'est Zeus qui m'envoie. Il t'ordonne de laisser repartir Ulysse.
-- Pourquoi veut-il m'enlever mon compagnon? Nulle part, il ne peut être plus choyé qu'auprès de moi...Mais comment peut-il partir sans bateau, sans homme d'équipage?
-- Ne te soucie pas de cela, lui dit Hermès.
Et aussitôt il s'envole vers l'Olympe, tandis que Calypso vient rejoindre Ulysse.
Tout en assurant Ulysse qu'elle ne le retient pas contre son gré, elle lui dit :
-- Si tu savais tous les tourments qui t'attendent à ton retour dans ta patrie, tu resterais auprès de moi. Je t'offre l'immortalité... Et connais-tu une femme aussi belle que moi?
-- Pardonne-moi, déesse, je me dis tout cela. Pénélope n'est qu'une mortelle et n'a rien de ta beauté. Pourtant mon seul désir est de rentrer au logis. Et s'il me faut endurer encore bien des tourments, j'ai déjà tant souffert, eh bien, j'aurai le courage de les surmonter!

Un peu à contre-coeur, Calypso confie à Ulysse des outils de bronze et elle l'entraîne vers la forêt. Avec le bois, il pourra se construire un bateau, un bateau qu'il pourra manoeuvrer tout seul.