Les marchands Conte d'amour Très beau conte mais très long
Gallimard
Les marchands
Gallimard Le trésor des contes Les brigands
-Conte d'amour / Très beau conte mais très long
Thème
Marchands honnêtes et malhonnêtes. La ville de Nantes. L'amour et la fidélité.
Résumé
Pierre, le fils d'un mercier de Nantes trouve enfin une épouse franche et honnête, fille d'un jardinier de Bordeaux. En rentrant à Nantes Pierre reprend le négoce de son père mort entre temps. Il tente de recouvrer l'énorme dette laissée par un mercier de Bordeaux. Il se rend auprès de ce marchand malhonnête. Pour se défendre, l'autre prétend que la jeune femme trahit son mari. Devant la justice, il y va de la perte de tout son avoir. Le marchand malhonnête va à Nantes, endort la femme grâce à un soporifique et lui dérobe le bijou qu'elle porte au cou. Grâce à ce bijou il est gagnant devant le tribunal. Pierre perd tous ses biens. A sa sortie de prison, il entraîne sa femme sur un bateau et l'abandonne seule en pleine mer. Elle est sauvée par un marchand anglais. Revenue à Nantes, elle se déguise en homme. Avec le prix du bateau, elle monte un commerce de vin en face de l'ancienne boutique de Pierre devenue hôtellerie du marchand de Bordeaux. Avec l'aide de valets, elle fait avouer cet homme malhonnête, puis sa femme qui porte au cou le bijou. Enfin elle fait venir son mari devenu valet de son adversaire. Les époux se retrouvent, recouvrent leurs biens et vont rétablir leur renommée auprès des marchands de Bordeaux.
Public
Adultes
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Date de narration
- 28/03/2014 - Contes en liberté (1e partie)
Les marchands
Le personnage de Pierre
Arrivé à Bordeaux, j'ai aperçu une fille d'allure modeste dans une petite échoppe de fleuriste. Un joli visage, l'air sérieux et honnête. Elle était occupée à faire des bouquets. C'était le signe de la providence! Sans plus réfléchir, j'ai demandé :
-- Pourriez-vous me faire un bouquet, un bouquet de toutes les couleurs?
Après les tâches de la journée, la demoiselle m'a emmené au jardin de son père pour choisir les fleurs. Elle assemblait les fleurs tout en me les nommant. Moi, j'étais émerveillé par le savoir-faire de la belle, mais surtout par sa gentillesse et sa simplicité. Il n'était pas question de propos galants, de mots d'esprit, encore moins de discours convenus. Les yeux dans les yeux tout simplement, de beaux yeux gris, un regard droit et fiable. J'ai vu son sourire, et puis le rose lui monter aux joues. Alors moi aussi, j'ai été envahi d'une émotion intense. Sa main tremblait un peu. J'ai essayé de l'aider, maladroitement. Ma main s'est posée sur la sienne.
Je me suis entendu dire :
-- Voulez-vous devenir ma femme?
-- J'y consens, m' a-t-elle dit simplement.
Je n'oublierai jamais l'expression de son visage à cet instant : une sorte de promesse d'amour inconditionnel et de fidélité. J'ai su que ce serait l'amour de ma vie. J'étais inondé de bonheur.
Je suis allé trouver son père, le jardinier, lui demander la main de sa fille. Lui aussi était quelqu'un de simple et direct. Il a donné son consentement.
Le mariage a eu lieu peu après, à Bordeaux. Assez modeste, il est vrai, mais mariage d'amour et de foi l'un en l'autre. Pour sceller notre union, j'ai fait faire, par un joaillier, un joyau de trois couleurs en souvenir du bouquet de toutes les couleurs : une branche rouge en témoignage de mon amour, une blanche pour la foi en mon aimée, et une bleue pour notre entente. Ce joyau, je voulais qu'elle ne s'en sépare jamais, quoiqu'il arrive.
-- Je porterai toujours ce bijou sur mon coeur, je te le promets. Jamais il ne me quittera.
J'étais en train de débarrasser les tables à l'hôtel. J'ai du mal à appeler hôtel ce qui était autrefois la boutique de mon père, puis la mienne. Mais c'en était là. Trois gaillards sont venus me chercher. Je ne comprenais pas ce qu'ils voulaient de moi. Ils m'ont rassuré et m'ont transporté sur leurs poignets enlacés comme ils auraient fait avec une demoiselle. Ils n'ont eu qu'à traverser la rue et je me suis retrouvé face au marchand de vin.
Maintes fois je l'avais aperçu de l'autre côté de la rue, mais je n'y avais pas prêté autrement attention. Soudain en face à face, cet individu m'intriguait. Déjà par son allure, sa petite taille, sa silhouette mince, son visage. Il ne me semblait pas tout à fait inconnu. Que me voulait-il donc? Il s'est adressé à moi avec beaucoup de déférence. Il m'a interrogé sur ma condition actuelle et sur les évènements qui m'y avaient conduit. Avec beaucoup de tact, il m'a amené à évoquer les faits du passé que j'aurais préféré taire. En même temps, quelque chose dans son visage, dans ses yeux, son air franc et déterminé m'évoquaient un être familier. Je ne pouvais m'empêcher de penser à la femme que j'avais aimée. Mais plus j'y pensais, plus je repoussais cette idée. Alors, encouragé à la fois par tant de sollicitude et de fermeté, j'ai tout raconté : depuis le procès où j'avais tout engagé, tous mes biens et ma personne même, jusqu'au moment où j'ai coupé le cordage pour abandonner ma femme à l'océan.
Ensuite il, ou plutôt elle, m'a demandé de l'attendre un moment après m'avoir remis les témoignages écrits par le traître et par sa femme. J'étais bouleversé à la lecture de ce que je découvrais. Je ne savais plus où j'en étais. J'étais anéanti.
Et puis, elle a réapparu, vêtue comme elle l'était quand je l'ai abandonnée en mer.
Elle était donc encore en vie! Ma femme! Oui, c'était bien elle! Mon aimée! C'est moi qui méritais la mort. Jamais je ne pourrai mériter le pardon.
Elle protestait, m'assurait de son amour et de sa fidélité. Et moi, je la tenais dans mes bras, je l'embrassais. Je pleurais des larmes de joie. Je ne pouvais croire à ce bonheur.
Ensuite les choses sont allées très vite. A Bordeaux, tous les marchands ont reconnu notre bon droit. Puis à Nantes, à notre retour, les cloches se sont mises à sonner comme pour fêter notre bonheur retrouvé.