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Fabuloscope

Lorsque les dieux faisaient l'homme D'après Jean Bottéro et Samuel Kramer Mythe d'origine

Lorsque les dieux faisaient l'homme

D'après Jean Bottéro et Samuel Kramer

Mythe d'origine

Thème

Cosmogonie sumérienne

Résumé

Les dieux inférieurs pourvoient au bien-être ds grands dieux. Mais fatigués de peiner ils se révoltent. Pour apaiser l'insurrection, l'un des grands dieux suggère de créer des humains qui seront chargés de ce travail. Ils s'adressent donc à la mère des dieux. Avec l'aide de l'un des grands dieux, elle façonne les premiers hommes.

Public

Grands enfants, Ados, Adultes

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Lorsque les dieux faisaient l'homme

Au début, Ciel et Terre formaient une sorte de mélange, ils étaient comme soudés l'un avec l'autre. Lorsqu'ils se sont séparés, la voûte céleste est apparue au dessus de la terre, immense. C'est là, dans la voûte céleste que vivait Anou, le roi des dieux, le père de tous les dieux, le plus honoré de tous. Et puis, la mère des dieux, la grande déesse Bêlet-ili.
En fait, un de ses fils, Enlil, avait une importance plus grande que celle de son père lors des décisions. Le domaine d'Enlil était le terre et l'air. La terre était toute plate. Elle flottait sur un immense océan d'eau douce. La mer l'entourait de tout côté, la mer qui, elle-même était entourée d'une barrière de montagnes au bout du monde.
En dessous, sous la terre, la grande nappe d'eau douce. Le ciel, la terre et l'énorme mer d'eau douce formaient ensemble l'univers, une sorte de sphère. L'eau douce était le domaine du troisième des dieux suprêmes, Enki. Lui était expert dans tous les domaines, toujours de bon conseil.
Cependant pour gouverner le monde, les trois grands dieux prenaient les décisions en assemblée et d'un commun accord.

Ils ont engendré une multitude de descendants. C'étaient aussi des dieux, mais de moindre importance. Comme ils étaient plus jeunes et plus robustes, leurs aînés les avaient chargés de leur procurer tout le nécessaire pour leur bien-être, et pour une vie d'oisiveté. Les jeunes dieux devaient donc pourvoir à la nourriture des grands dieux.
Or en ce temps-là, le sol terrestre n'était qu'une croûte brunâtre. Tout était sec, recouvert de poussière. Rien ne poussait, pas un brin d'herbe, pas de fleurs, pas un buisson, pas un arbuste, pas un arbre et pas de fruits, pas de chants d'oiseaux, pas de troupeaux pour brouter dans les prés. Tout était sec, un désert aride.
Pour cultiver la terre, les jeunes dieux ont dû commencer par l'abreuver. Pour lui procurer de l'eau, pendant plus de mille ans, ils ont creusé le cours des fleuves et des rivières à la surface de l'immense pays, la Mésopotamie, afin que l'eau puisse couler depuis la nappe souterraine. Ensuite pour irriguer le pays, ils ont tracé le réseau des innombrables canaux qui fertilisent les champs. Alors les troupeaux ont pu venir paître : les vaches et leurs veaux, les moutons et les agneaux, les chèvres et les chevreaux, les ânes et les animaux domestiques.
Pendant plus de mille ans, sur la terre toute plate, ils ont entassé les montagnes afin que les animaux sauvages, aussi bien les lions, les loups et les sangliers que les cerfs, les daims, les lièvres et tous les rongeurs, puissent y trouver refuge et nourriture.
Pendant plus de mille ans encore, ils ont organisé un grand marécage au sud du pays, là où se mêlent la terre et l'eau et où se cachent les serpents et toutes sortes de grenouilles.
Après tout ce temps, ils étaient fatigués de ces durs travaux, ils n'en pouvaient plus. Ils se plaignaient entre eux, ils gémissaient :
---- On en a assez. Ca ne peut plus durer!
L'un d'eux a suggéré :
---- Au lieu de pleurer sur nos peines, allons trouver Enlil. C'est lui qui est responsable de la terre. Allons le tirer de son domaine douillet et exigeons qu'il nous décharge de ces travaux éreintants.
La colère montait parmi les jeunes dieux :
---- Commençons par détruire nos outils de travail.
Ils firent un énorme feu et se mirent à brûler leurs pioches, leurs houes et leurs hottes.

Puis, tous ensemble, prêts à un vrai combat, ils ont assiégé la demeure du dieu Enlil, en pleine nuit, alors que le dieu dormait. En entendant le tapage des jeunes dieux, le portier tira et referma précipitamment le verrou du grand portail. Puis il alla réveiller le serviteur d'Enlil. Le serviteur alla trouver son maître et le tira du lit :
---- Les jeunes dieux ont cerné ton palais, ô Enlil. Ecoute-les gronder à ta porte, prêts à se battre!
Mal réveillé, Enlil eut d'abord du mal à réaliser. Puis, devant l'urgence, il donna ses ordres au serviteur :
---- Fais barricader la porte et toi, prends tes armes et reviens me trouver.
Le serviteur prit ses armes et retourna auprès d'Enlil. Voyant Enlil bouleversé, il lui dit :
---- Monseigneur, ton visage est verdâtre. As-tu tellement peur des jeunes dieux? Ce sont tes enfants, après tout!
Ne sachant que faire, Enlil lui dit :
---- Envoie chercher Anou, qu'on le fasse descendre des cieux et qu'on amène aussi Enki qui habite dans les eaux souterraines.

Une fois réunis, les trois grands dieux tinrent un conseil de guerre. Anou le roi du ciel présidait, comme il se doit. Enlil prit la parole :
---- C'est contre moi qu'ils se révoltent. Nous devons nous entendre pour réprimer la révolte.
Anou demanda :
---- Quelle est la cause de cette révolte? Demande à ton serviteur d'aller les trouver et de s'en enquérir.
Enlil fit venir son serviteur :
---- Déverrouille la porte, prosterne-toi devant tous les dieux et dis-leur : "C'est Anou votre père et Enlil votre maître qui m'envoient. Ils vous font dire : Qu'est-ce qui résulterait d'une guerre? Ne nous battons pas! Dites-nous plutôt la raison der votre mécontentement.
---- La raison est simple : nous sommes fatigués de travailler la terre jour et nuit. Nous sommes épuisés. Nous ne voulons plus continuer ainsi.
Le serviteur rapporta ces paroles mot pour mot.
En entendant cela, Enlil se mit tout simplement à pleurer. Après avoir séché ses larmes, il pria Anou, le roi, de condamner le meneur des jeunes dieux au châtiment suprême, pour l'exemple. Mais Anou avait pitié de ses enfants, les jeunes dieux et il refusa.

C'est alors que Enki, toujours de bon conseil, proposa un plan :
---- Demandons à Bêlet-ili, la mère des dieux, de fabriquer un prototype d'homme. C'est l'homme qui remplacera les jeunes dieux. C'est lui qui sera chargé de leur travail.
Le projet fut adopté à l'unanimité par les deux autres grands dieux.
Anou envoya le serviteur d'Enlil pour lui faire part du projet. Apaisés, les jeunes dieux se dispersèrent.

Ensuite, ayant fait venir Bêlet-ili, la déesse mère, les grands dieux mirent au point le projet d'Enki :
---- Toi qui es la mère des dieux, sois aussi celle des hommes. Que l'homme soit créé pour servir les dieux!
Bêlet-ili répliqua :
---- Je ne peux créer l'homme à moi toute seule. Il me faut l'aide d'Enki. Qu'il me livre de l'argile, qu'il la malaxe et qu'il y ajoute de la chair et du sang d'un dieu qu'on aura sacrifié. Ainsi, réunis dans l'argile, seront associés un peu du dieu, un peu de l'homme. De par la chair du dieu, il y aura dans l'homme un esprit qui subsistera après sa mort. Ayant pleinement approuvé le projet, les grands dieux se séparèrent.

Le 7 du mois, le jour de la purification, on immola Wê, le meneur de la révolte en présence de toute l'assemblée des dieux : les dieux suprêmes et les jeunes dieux devenus grands dieux, eux aussi puisqu'ils n'auraient plus à servir leurs aînés. Désormais eux aussi vivraient dans le farniente, les hommes allaient les débarrasser de leurs lourdes tâches.

Puis les grands dieux allèrent se purifier dans le bain rituel afin de se laver de la souillure du meurtre.

Bêlet-ili, se mit à pétrir l'argile, en répétant la formule dictée par Enki. Elle donna forme humaine à cette matière. Tous les dieux étaient présents. Lorsqu'elle eut fini, elle leur dit :
---- En le façonnant, j'ai imposé votre besogne à l'homme. Ce destin est en lui. Les hommes se multiplieront pour vous libérer de vos servitudes.
Les dieux accoururent lui embrasser les pieds en signe de remerciement.
Ensuite, elle fit apporter quatorze moules et détacha quatorze morceaux de pâte, en mit sept à sa droite et sept à sa gauche, puis les sépara d'une paroi de briques. Après neuf jours, elle enleva la paroi. Aux uns avait poussé la barbe, aux autres étaient apparus des seins. Sept avaient produit des mâles, sept autres des femelles. Mâles et femelles se rapprochèrent. Après neuf mois accomplis, la déesse se transforma en sage-femme : toutes les femmes accouchaient.
Partout on célébra la déesse dans la joie. Elle était devenue la déesse de la fécondité.